Il y a des histoires tellement incroyables que tu crois rêver. Celle-ci en est une. Elle commence il y a trois mois au Ristorante Pfauen, Reutlingen près de Stuttgart, Kanzleistraße 52, cuisine des Pouilles. Notre rédacteur en chef a invité la rédaction et quelques amis à dîner. Une grande table ronde donc. A notre table se trouvait également un quadragénaire filiforme et extrêmement sympathique. J’ai remarqué qu’il écoutait attentivement ce que je disais. La plupart du temps, il souriait malicieusement. Le lendemain matin, mon téléphone portable a sonné. C’était le rédacteur en chef : « Je t’ai envoyé un e-mail il y a une minute, regarde-le, c’est tout ce que je dis ». Ce que j’ai lu ne pouvait pas être vrai : « Le 8 juin, dans le cadre des Challenge & GT Days, tu feras dix tours sur le Red Bull Ring avec chacune des quatre voitures de course suivantes : Ferrari 458 Italia GT2, Porsche 991 RSR, Porsche 996 RSR, Ferrari 333 SP. Et P. m’a demandé de te transmettre ses salutations ». En annexe, chaque voiture était illustrée par une photo (les Porsche sont bien sûr des modèles 911 – 991 et 996 sont les désignations de type internes).

Le rédacteur en chef a répondu qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie, que P. avait fait de la course autrefois, et qu’il courait très vite, non pas dans une quelconque série de Mickey, mais dans le championnat du monde d’endurance. Hier, P. a eu l’impression que j’en avais mis plein la bouche, non pas avec les spaghettis à la carbonara, mais avec mes prétendues compétences en matière de conduite automobile et mes diverses expériences dans des voitures de course. Et comme P. est un homme qui n’a pas froid aux yeux et qui tient à une bonne histoire, il a décidé, avant d’aller se coucher, d’empêcher l’Autrichien d’être un franc-tireur. Qu’il montre donc ce qu’il sait faire dans une voiture de course de pure race – mais que veut dire dans UNE, dans QUATRE ? P. possède la Porsche 991 RSR et la Ferrari 333 SP.

Un de ses ex-collègues de course anglais serait le propriétaire de la 996 RSR et de la 458 Italia GT2. Comme P., l’Anglais viendrait aux GT Days pour faire quelques tours de piste après une longue période. Lors d’une conversation téléphonique à minuit, il a assuré à P. qu’il mettrait également ses deux voitures à sa disposition et qu’enfin quelqu’un leur montrerait ce qu’est un vrai marteau. Tôt ce matin, P. l’a tiré du lit, lui, le rédacteur en chef, pour lui faire part de son projet. (Nous appellerons d’ailleurs toujours P., car il est très réticent aux médias, jusqu’à la fin de cette histoire).
Et puis, tout à coup, c’était le 8 juin. Je me suis réveillé avant le lever du soleil et j’ai entendu des voix – deux, pour être précis. L’une plutôt une petite voix, douce, frêle, incertaine : « Ce sera ton jour, crois-y fermement… Hum, ou pas, je m’en fous ». L’autre tonitruante, sinistre, sans équivoque : « Ce sera ton Armageddon ! »
La nuit, des doutes angoissants sur moi-même m’ont longtemps empêché de m’endormir. Toujours les mêmes questions : « Suis-je à la hauteur de cette tâche ? Et y a-t-il jamais eu une meilleure occasion de se ridiculiser de manière grandiose et de partir en catastrophe ? »
J’ai eu du mal à me lever, je ne me sentais pas vraiment reposé. A dix heures, j’étais sur le ring. Des nuages blancs passaient au-dessus du circuit niché dans le paysage montagneux de Styrie comme un troupeau de moutons.